La secte des phytopharmaciens

, par  FFAP

Nous publions avec son autorisation un droit de réponse à l’édito "Phobie des phytos" publié par La France Agricole.

Suite aux nombreuses réactions suscitées par l’émission Cash Investigation, je souhaitais répondre aux fervents défenseurs du "tout phyto".Je suis installé avec mon père sur une exploitation de 133 hectares de céréales (blé,tournesol,orge,sarrasin ).Nous pratiquons une agriculture raisonnée et ne traitons que si nécessaire (applications à l’entreprise,pas d’insecticides,pas de néonicotinoïdes).Nous sommes aussi apiculteurs sur plus de 800 ruches (temps de travail équivalent à 300 hectares de cultures pour donner une idée) et je suis loin d’être convaincu que l’agriculture est irréprochable en terme d’écologie.

Notre département, le Gers, s’il est le premier département bio de France (en surfaces) est aussi le premier en cultures porte-graines (16380 hectares). 1924 tonnes de phytos y seraient commercialisées soit autant que la Haute-Garonne et le Tarn-et-Garonne réunis.Il est bien évident que cela a un impact sur la mortalité de nos ruches et après 10 ans d’installation, la moyenne annuelle des pertes s’établit à 300 colonies sur 800 ruches (37,5 %). J’entends déjà des voix qui s’élèvent, récitant mot pour mot le discours des lobbyistes de l’UIPP en disant que nous nous occupons mal de nos ruches. Je trouve assez savoureux de recevoir des leçons de la part de gens qui ne connaissent rien à notre métier. Nous pratiquons une apiculture raisonnée et cohérente. Nous sommes extrêmement exigeants quant à la gestion sanitaire de nos ruches, sélectionnons des abeilles adaptées à notre région en privilégiant la rusticité, la douceur, la prolificité, la résistance aux maladies et la productivité.Nous veillons à viser des objectifs de rendement cohérents avec le milieu et traitons le varroa (en fin d’été après la miellée) avec des produits avec AMM (pas de bricolage chez nous).Malgré cela, il est extrêmement difficile de développer son cheptel alors que la France manque de pollinisateurs (l’INRA estime que 20% des rendements sont gâchés faute d’abeilles) et de miel (30000 tonnes importées sur 40000 consommées).

Nous avons comparé le taux de mortalité chez nous et ailleurs.Sur les ruches placées chez nous (agriculture raisonnée, traitements le soir, jachères mellifères) le taux de mortalité ne dépasse pas 10%.En zone de grandes cultures (forte pression phytosanitaire, grandes parcelles dépourvues de haies, pas de jachères mellifères, traitements un peu n’importe quand) le taux varie entre 30 et 60%.Les abeilles étant les mêmes dans les 2 cas évidemment.Parfois, même les essaims destinés au renouvellement (équivalent des génisses en élevage bovin) sont touchés alors qu’ils n’ont même pas 2 mois : 500 grammes d’abeilles mortes devant la ruche.Une année on trouve dans les abeilles du prothioconazole, l’année suivante du boscalid.Des efforts simples permettraient de réduire considérablement ces mortalités (traitements le soir, réduction des doses, implantation de légumineuses mellifères sur jachères et même... plantation de haies).Malgré nos efforts pour préserver nos abeilles nous n’enregistrons pas de baisses de rendements sur les cultures, ils sont même supérieurs aux moyennes départementales.

Cependant, chaque année, nous constatons que des mauvaises habitudes persistent.Je passe sur l’inconscient qui applique son glyphosate en short sans cabine et sans masque avec un vent de 40 km/h.Trop cliché me direz-vous. Alors que dire du céréalier super équipé qui traite son colza à 15 heures par beau temps alors que son automoteur équipé d’éclairage des rampes et de guidage GPS lui permettrait de traiter la nuit sans même toucher le volant ?Ou bien du pulseur obsolète dont la moitié de la bouillie part en dehors de la parcelle de vigne ?

Ou mieux du technicien qui préconise du Géotion (chlorpyriphos-éthyl+cyperméthrine) sur un colza semence (où il y aura forcément des abeilles c’est obligatoire) alors que ce produit n’a pas la mention abeilles et est interdit en floraison (appliqué au stades premières fleurs ouvertes). La palme revenant à l’agriculteur qui pulvérise son maïs semence avec un insecticide à 15h30 et qui envoit les castreurs dans la parcelle le lendemain.

Dans le numéro d’Agrodistribution de décembre 2015 (page 36), on peut lire que sur 403 agriculteurs interrogés, 2% reconnaissent acheter des produits à l’étranger et 10% envisagent de le faire (16% en grandes cultures).Il me semble pourtant qu’ils ont passé le certiphyto.J’y ai moi-même assisté.J’ai eu le grand privilège de voir un technicien conseiller aux agriculteurs présents dans la salle de mettre du Dursban (insecticide du sol maïs) sur un tournesol où...il était interdit.

Dans votre numéro du 29 janvier 2016, on peut lire en page 76 la condamnation d’un négociant pour vente de produits sans AMM et dans celui du 14 février en page 79 la condamnation d’une société pour contrefaçon de marque, usurpation de nom etc...

On voit bien que l’agriculture française, si elle a bien évolué, n’est pas aussi verte que certains le prétendent.Quand je lis que certains parlent de "terrorisme médiatique" je me demande comment on devrait appeler le fait de détruire l’outil de travail des autres.Une entrave à la liberté d’entreprendre ? Sachant que les abeilles sont indispensables à notre survie, doit-on appeler ça un crime contre l’humanité ? Allons,allons...Au lieu d’employer des grands mots à mauvais escient pour faire le buzz (et au passage manquer de respect à ceux qui ont perdu un proche en novembre dernier) vous devriez vous remettre en question.

Aucun éleveur n’accepterait de subir les pertes que nous subissons chaque année dans l’indifférence générale.L’élevage français, s’il crée des emplois en amont et en aval, ne rapportera jamais autant aux autres productions agricoles que l’apiculture. La dernière étude de 2010 révèle qu’avec une production française de miel évaluée à 112 millions d’euros la pollinisation a rapporté (par le surcroît de rendement qu’elle engendre) 2,8 milliards d’euros aux agriculteurs français soit...25 fois plus que la valeur du miel (JA mag juillet 2014)

En 10 ans j’ai perdu 3000 colonies à 150 euros pièce.Je vous laisse calculer.En terme d’emploi ça faisait 6 personnes.Alors quand j’en entends certains se plaindre de vivre dans un pays où on assiste trop les chômeurs, j’ai envie de répondre c’est pas le gouvernement qui conduit les pulvés à 3h de l’après-midi.Ce serait bien que pour une fois chacun prenne ses responsabilités et soit un peu moins lâche.D’autre part,il est un peu facile de se réfugier derrière les autorisations de mise sur le marché.Ce n’est pas parce que c’est homologué qu’on est obligé de l’employer.Le vin est en vente libre c’est pas pour autant qu’on est tous alcooliques.Et trop souvent encore, les produits sont utilisés dans des conditions autres que celles préconisées par la firme.

L’émission Cash Investigation aura au moins permis de mettre en évidence, pour ceux qui en doutaient encore, les relations plus que douteuses qui existent entre certains élus politiques et les firmes phytopharmaceutiques. Personnellement, ça me soulève autant l’estomac qu’une soufflée de fongicide.Voir des hauts dirigeants mener grand train en vendant des produits qui vous empoisonnent...C’est pas grave ils font aussi dans le médicament. La science pour une vie meilleure.Celle des actionnaires pas la vôtre...

Que dire du lobbyiste de l’UIPP qui transpire tellement le mensonge qu’on aurait presque pitié de lui. Il prétend que la consommation de phytos baisse. Peut-être mais leur toxicité et leur rémanence augmentent. Un Allié c’est 20 grammes/hectare.

Selon une étude américaine de Dave Goulson, la rémanence des néonicotinoïdes dépend du taux d’argile présent dans le sol en se fixant sur le complexe argilo-humique avec des valeurs qui font peur (imidachlopride jusqu’à 1230 jours, acétamipride 450 jours, clothianidine 1386 jours, thiachlopride +de 1000 jours, thiamétoxam 353 jours). La persistance est moindre en sols filtrants mais les produits passent plus vite dans l’eau.Dans un contexte d’effondrement des prix, il serait peut-être intéressant de reconsidérer l’emploi systématique de ce genre de molécules.

L ’ANSES reconnaît que la culture suivante en bénéficie et déconseille de butiner une culture mellifère implantée après.Dans le même temps ils homologuent le Nuprid (un de plus !).Stéphane Le Foll s’interroge alors pour ce qui concerne la rotation des cultures.Depuis quand les néonicotinoïdes sont-ils obligatoires ? 50% des blés sont traités Gaucho mais 50% poussent très bien sans.

L’accumulation de ces intoxications nous oblige à avoir 2 cheptels (un de production et un de renouvellement) si bien que parfois on ne sait plus où mettre nos ruches. Nous sommes partagés entre l’obligation économique de produire du miel et l’obligation économique et morale de garder notre cheptel en vie.

Les agriculteurs, à force de trop faire confiance aux techniciens (qui me font penser à Steve Jobs :"ceci est une révolution" ou l’art de convaincre les gens que le superflu est indispensable) sont devenus les dindons de la farce.

Je sais pertinemment que mon texte ne changera pas un système qui va droit à la catastrophe où l’on raisonne en profits immédiats sans miser sur le long terme. La France est le pays du monde qui a réalisé le plus d’études sur les néonicotinoïdes (44 !).Les ministres de l’agriculture successifs ont tous botté en touche face aux pressions de l’UIPP et de la FNSEA. Il serait urgent de prendre les bonnes décisions. Et même si les apiculteurs pèsent peu en terme de voix électorales, nos abeilles rapportent 153 milliards de dollars par an à l’agriculture mondiale soit 9,5% de sa production.Il vaudrait mieux en tenir compte avant d’être obligés de polliniser les cultures vous-mêmes comme dans certaines provinces de Chine...

Nicolas Buffo

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