Lettre ouverte aux Ministres de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Santé sur l’interdiction des néonicotinoïdes

, par  FFAP

Madame et Messieurs les Ministres,

Le 5 mars dernier, l’Anses a rendu un rapport intermédiaire sur les alternatives aux néonicotinoïdes. Alors que ces molécules sont interdites à partir de septembre 2018, ce rapport doit servir de base à vos ministères pour octroyer ou non des dérogations pour certaines cultures jusqu’à 2020. Avec ce premier avis, nous entrons donc dans une phase décisive de l’application de l’interdiction des néonicotinoïdes. Aujourd’hui, en cette Semaine pour les Alternatives aux Pesticides, nous vous livrons notre lecture de l’avis, nos commentaires et nos demandes.

Que dit l’avis ?
L’avis s’intéresse à 5 cultures : vignes, betteraves, céréales à pailles, maïs et laitue – un avis final sur l’ensemble des cultures sera probablement rendu courant mai. Pour chacune de ces 5 cultures, l’Anses a défini l’existence d’alternatives chimiques et non chimiques et a comparé les impacts des néonicotinoïdes sur l’environnement et la santé avec ces alternatives. Au terme de cette analyse, on semble comprendre que l’Anses considère que les alternatives existent pour la vigne et les céréales à paille et sont acceptables. Par contre, pour la betterave, la laitue et la lutte contre la mouche sur le maïs, l’avis de l’Anses tel que formulé pourrait conduire à la poursuite de l’utilisation des néonicotinoïdes pour les 2 années à venir.

Pour les organisations signataires de cette lettre, il est clair que :

1. L’Anses soulève des « points critiques » non-recevables
L’Anses indique à plusieurs reprises que les alternatives sont d’une efficacité plus aléatoire que les néonicotinoïdes utilisés en traitement de semences ou de plants. Il est évident qu’un traitement préventif de l’ensemble des graines (98 % des surfaces de betterave) ou des plants (traitement quasi généralisé des salades) avec des molécules extrêmement toxiques entrant et restant dans les plantes sera toujours plus efficace qu’une pulvérisation appliquée au cas par cas ou que toute autre alternative. Les néonicotinoïdes se sont justement imposés pour des usages donnés du fait de cette efficacité de court terme. Il ne faut donc pas mesurer l’efficacité d’autres méthodes que les néonicotinoïdes comme si elles avaient le même mode d’action que ces derniers. Ce serait aller à l’encontre de la volonté du législateur. Ces « points critiques » de l’Anses ne sont donc nullement recevables.
Par ailleurs, ces utilisations préventives de néonicotinoïdes se font en totale contradiction avec les objectifs d’Ecophyto et les principes de la lutte intégrée inscrits dans la directive européenne sur l’utilisation durable des pesticides (directive 2009/128).

2. Les pouvoirs publics ne doivent pas confondre impasses techniques et freins économico-commerciaux
Sortir des néonicotinoïdes n’appelle pas le remplacement d’une technique par une autre pour un ravageur donné, mais l’installation d’un autre système de cultures qui permet de limiter l’usage de pesticides par un fonctionnement mieux relié à l’environnement naturel. Cela nécessite souvent une multiplicité de méthodes (observation, rotations, prévention, autres produits chimiques et non chimiques, etc.). L’Anses le mentionne d’ailleurs elle-même à plusieurs reprises : « Une combinaison de plusieurs méthodes doit être envisagée dans le cadre d’une approche de lutte intégrée. ». Pourquoi ne retrouve-t-on que trop timidement ces considérations dans les conclusions ?
Nous attirons ainsi l’attention de vos ministères sur la vigilance que vous devez avoir à ne pas confondre « impasses techniques » et « freins économico-commerciaux » qui limitent souvent le passage à cet autre mode de fonctionnement. L’essentiel des points critiques pointés par l’Anses relèvent de freins économico-commerciaux auxquels pourront répondre, non pas des dérogations à l’usage des néonicotinoïdes, mais des mesures d’accompagnement et de soutien.
Rappelons par ailleurs que, sur plusieurs grandes cultures, des études ont fait valoir que l’utilisation des néonicotinoïdes n’a pas permis une augmentation significative des rendements pour les agriculteurs.

3. Les impacts négatifs des néonicotinoïdes ne sont plus tolérables
Depuis 2016, les études sur l’extraordinaire toxicité de ces pesticides n’ont cessé de s’accumuler. En 2017, une étude allemande révélait que les populations d’insectes volants avaient chuté de 80 % en 25 ans. Il y a quelques jours, le Muséum national d’Histoire naturelle et le CNRS nous apprenaient que les populations d’oiseaux disparaissaient « à une vitesse vertigineuse ». Chacune de ces études pointe du doigt la responsabilité des néonicotinoïdes.

Madame et Messieurs les Ministres, en 2016, le législateur français a adopté l’interdiction des néonicotinoïdes à compter du 1 er septembre 2018 (sauf dérogations) pour en finir avec ces molécules d’une toxicité intolérable. Depuis deux ans, les nouvelles connaissances scientifiques ne font que confirmer l’urgente nécessité d’une interdiction complète. Celle-ci est possible comme le montrent ces agriculteurs qui partout en France, en bio et en conventionnel, travaillent sans ces pesticides grâce à une approche systémique : diversification des assolements, utilisation de variétés résistantes et adaptées à chaque région, maintien et réimplantation d’un maillage d’espaces naturels, etc.

C’est pourquoi, sur la base de cet avis intermédiaire, nous vous appelons à ne pas délivrer de dérogation à l’utilisation des néonicotinoïdes.

Nous vous prions de croire, Madame et Messieurs les Ministres, à l’expression de notre haute considération.

Organisations signataires par ordre alphabétique :
Agir pour l’Environnement – Confédération Paysanne – France Nature Environnement – Fédération Française des Apiculteurs Professionnels – Fondation pour la Nature et l’Homme – Générations Futures – Greenpeace – Ligue pour la Protection des Oiseaux – Syndicat National d’Apiculture – Union Nationale de l’Apiculture Française

Lettre ouverte aux Ministres de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Santé sur l’interdiction des néonicotinoïdes

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